Allain Leprest et Philippe Torreton

Philippe Torreton : « Je voulais faire entendre la qualité d’écriture d’Allain Leprest »
La vie est injuste. Allain Leprest, auteur interprète de la trempe d’un Bashung, reste méconnu. Dimanche 12 octobre, ses textes revivront à l’espace Grossemy. Aux sons et aux percussions, Edward Perraud. Au micro, Philippe Torreton. Qui revient sur ce « Mec ! », titre d’un spectacle surprenant.


PAR RENO VATAIN le 01 10 2014
bruay lavoixdunord.fr
BRUAY-la buissière.

LA VOIX DU NORD


– Comment est né ce spectacle autour des textes d’Allain Leprest ?
Philippe Torreton : « L’idée vient de Jean-René Pouilly, le producteur qui l’a lancé. Il m’a contacté pour savoir si ça m’intéressait. L’idée m’a plu, mais je ne voulais pas être seul en scène : pour mois, ça n’est pas un matériau de théâtre. Je voulais entendre sa qualité d’écriture, mais pas la transformer. J’ai donc cherché un duo possible. Et mon choix s’est très vite porté sur Edward Perraud. C’est donc un spectacle à deux voix : la mienne, et celle d’un percussionniste. On ne voulait pas être des parasites, mais des passeurs de sa parole. »

– Comment présenteriez-vous Allain Leprest ?

« C’était un écorché vif (il s’est suicidé en 2011, lire ci-dessous)… Son écriture était à la fois très précise et très accessible. En deux mots, il était capable de synthétiser une émotion. Ça me navre que les gens ne le connaissent pas plus. On devrait l’étudier à l’école ; franchement, c’est de ce niveau-là. »

– Pourquoi avoir choisi un percussionniste, et pas un guitariste ou un pianiste ?

« Avec ce genre d’instruments, ça aurait été comme si on collait de la musique sur ses mots à sa place, alors que toutes ces chansons, il les avait mises en musique. On ne voulait pas dénaturer son travail. Ce que l’on fait, c’est plus une mise en son (en plus de ses percussions, son compagnon de scène a tout un appareillage électronique). Par exemple, Edward sample les battements de son cœur, sa respiration… Et comme je ne chante pas, on s’éloigne de la chanson. On va vers quelque chose de très intime, très feutré, pour favoriser l’écoute. »

– C’est une première pour vous ?

« Oui. J’ai déjà fait des lectures, mais tout seul. Ou des spectacles de chansons. Mais pas ce dialogue percussion-voix. Non seulement c’est excitant, mais ça m’émeut beaucoup. »

– Pourquoi ?

« Quand Jean-René Pouilly m’a proposé ce spectacle, il ne savait pas que j’avais connu Allain Leprest, qui est de Rouen, comme moi. On n’était pas de grands amis mais on se voyait de temps en temps… Il m’avait invité à chanter sur une de ses chansons. Je l’ai vu plusieurs fois en concert : c’est du niveau de Jacques Brel. Dans l’engagement face au public, l’investissement corporel. Pour moi, ce sont des maîtres étalons. Si l’engagement de l’artiste n’est pas à ce niveau-là, ça ne m’intéresse pas, c’est une petite épicerie de campagne… Être sur scène, ça doit faire mal. Il ne faut pas chercher à plaire, ni à déplaire, le débat est ailleurs. »

– On vous sait engagé : un message à faire passer aux habitants du secteur ?

« Ici comme ailleurs, dans cette époque de crise, de montée des extrêmes, les réponses passent, entre autres, par la culture. Son budget baisse ? Il devrait au contraire augmenter. Cette décision du gouvernement était d’une idiotie et d’un populisme… La culture est là pour faire connaître l’autre. On n’en finit pas de ne pas comprendre l’importance de la culture. On n’est pas à la hauteur de la réputation qu’on est censé avoir dans ce pays. »


Lumière sur un artiste de l’ombre

« C’est pour l’amour, pas pour la gloire ; je viens vous voir… » C’est sur cette citation d’Allain Leprest que commençait le papier de Laurence Colisson dans nos colonnes, à l’occasion de la venue de l’auteur interprète au Poche de Béthune… il y a vingt ans. Façon de rappeler que si le bonhomme n’avait pas joui de la reconnaissance qu’il méritait, ça ne l’avait pas empêché de mettre ses tripes d’écorché vif dans ses chansons.

Né en 1954, Allain Leprest, peintre en bâtiment de formation découvre à 18 ans qu’avec une guitare, « on peut écrire et chanter des chansons soi-même, comme papa fait des meubles ». S’en suivront neuf albums studios et deux live, où le Rouennais de naissance n’y va pas avec le dos de la cuillère, au moment de mettre le quotidien en poésie.

Le temps de finir la bouteille

Un seul exemple ? Ces quelques vers, tirés de Le Temps de finir la bouteille : « Le temps de finir la boutanche/Et vendredi sera dimanche/J’aurai planté des îles neuves/Sur les vagues de la mère veuve/J´aurai dilué la lumière/Dans la perfusion de grand-mère/J´aurai agrandi la maison/Pour y loger tes illusions » Claude Nougaro dira de lui : « C’est bien simple, je considère Allain Leprest comme un des plus foudroyants auteurs de chansons que j’ai entendus au ciel de la chanson française. » Visiblement pas suffisant pour s’attirer les faveurs du grand public. Qu’importe. Allain Leprest a poursuivi sa route, entre albums solos, écriture pour les autres (Jean Ferrat, Juliette Gréco) et collaborations (Richard Galliano, Jean-Louis Trintignant). Allain Leprest, atteint d’un cancer, se suicide le 15 août 2011. Il avait 57 ans. R. V.