Imaginer : s’envoler de nuit

Michel Chaillou


MICHEL CHAILLOU - écrivain
réalisation : Philippe Troyon

La lecture et l’initiation, expérience et vie imaginaire : le parcours personnel de l’enfant Michel Chaillou

CITATION LE MONDE 13.12.2013 RAPHAELLE LEYRIS

Son ultime roman, L’Hypothèse de l’ombre, était paru en novembre chez Gallimard dans la collection « Haute Enfance ». Auteur d’une œuvre conséquente, constituée de 27 livres, qui lui a valu, en 2007, le Grand Prix de littérature de l’Académie Française, Michel Chaillou aura publié jusqu’à son dernier souffle. L’écrivain et éditeur, attentif à restituer « la vie souterraine des choses », s’est éteint des suites d’une longue maladie, à Paris, le mardi 10 décembre. Il avait 83 ans.

Né à Nantes le 15 avril 1930, il vit une enfance qu’il dira « mouvementée », entre l’Ouest de la France et le Maroc, et sur laquelle reviendra, beaucoup plus tard, la veine autobiographique de son travail (La Croyance des Voleurs, Mémoires de Melle, ou 1945, Seuil, 1989, 1993 et 2004...).

Aide-comptable à 14 ans, il rate trois fois le baccalauréat, qu’il finit par obtenir avant de poursuivre des études de philosophie à Poitiers et de passer un capes de lettres, qui lui permet de devenir enseignant.

« MOTS CHARNUS ET RUTILANTS, BAROQUES ET DÉLICATS »
Après trois années « délicates », disait-il, à servir en Algérie, entre 1957 et 1960, il s’installe à Paris, y rencontre Roland Barthes, et commence sous sa direction une thèse consacrée au « Visage au cinéma ». Ses velléités de chercheur tournent court ; il se lance alors dans l’écriture d’un roman. Jonathamour paraît huit ans plus tard chez Gallimard dans l’exigeante collection « Le Chemin », de George Lambrichs.

Le Monde, sous la plume de François Bott, salue immédiatement cette « flambée de mots charnus et rutilants, baroques et délicats ». Deux ans plus tard, le burlesque Collège Vaserman est lui aussi remarqué. Mais c’est avec son troisième roman, Le Sentiment géographique (Gallimard, 1976), une pastorale, que Michel Chaillou s’impose comme écrivain, admiré par des poètes tels Jacques Réda et Michel Deguy. Avant que Domestique chez Montaigne (Gallimard, 1983) ne le fasse découvrir à un plus large public.

A propos de ce livre Bertrand Poirot-Delpech écrit dans « Le Monde des livres » : « Les métaphores sensuelles et rustiques s’y bousculent, brèves, musclées, musquées. Des verbes puissants confèrent aux choses une vivacité animiste [...] On voudrait pouvoir écrire : c’est du chaillou, comme on dit d’un patois, d’un cru fort en tanin. Appellation contrôlée et incontrôlable, qui a vite fait de monter à la tête. On se promet de n’en boire qu’un verre, comme ça, en claquant de la langue ; et pfuitt, la bouteille y passe ! »

Parallèlement à l’écriture, il produit des émissions éducatives de télévision ou de radio et continue d’enseigner ; il termine sa carrière comme maître de conférences à Paris-VIII entre 1991 et 1995.

INVENTION STYLISTIQUE
A la même époque ou presque – 1990-1996 –, cet homme érudit et modeste dirige la collection d’histoire littéraire « Brèves littérature » chez Hatier, pour laquelle écrivent Michel Butor, Patrick Chamoiseau, Dominique Noguez, Pierre Pachet, Jacques Roubaud… Après cette expérience, il se consacre exclusivement à l’écriture.
Quelle que soit la veine – autobiographique, imaginaire voire fantastique – dans laquelle s’inscrivent ses livres empreints de rêverie, Michel Chaillou les écrit comme on chuchote un secret, préoccupé avant tout d’invention stylistique – ce qui lui vaut, en 2002, le Prix de la langue française.

En 2007, dialoguant avec l’écrivain Jean Védrines dans L’Ecoute intérieure, son « autobiographie intellectuelle », il explique sa « méthode » : « Une manière de poser l’oreille sur le sol de la page pour enfin entendre le mystère de ce qui survient. Car écrire, c’est lire (...) mais lire ce qui n’existe pas encore. »
Cet homme au regard intense et à la belle chevelure blanche, qui signa en 2012 un Eloge du démodé (La Différence), avait réparti ses manuscrits entre la Bibliothèque nationale de France et la bibliothèque municipale de Nantes, sa ville natale, initiative qui lui avait valu d’être reçu au printemps dernier par le premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Il avait raconté cette cérémonie sur son (remarquable) site et restitué son discours. Il y qualifiait son style de « marche vers l’inconnu ».

Raphaëlle Leyris
Journaliste au Monde