Éducation aux médias

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, se sont rendus au collège Guy-Flavien à Paris, lundi 23 mars, dans le cadre de la 26e Semaine de la presse et des médias dans l’École, organisée cette année sur le thème de "La liberté d’expression, ça s’apprend !".



Déroulé

9h00 - Arrivée de Najat Vallaud-Belkacem et Fleur Pellerin au collège Guy-Flavien
9h15 - Séance d’éducation aux médias avec une classe de sixième, assurée par une professeur d’histoire, une documentaliste et une ancienne journaliste
9h40 - Échange avec les élèves membres de la rédaction du journal du collège "Le Petit Flavien"
10h00 - Point presse informel au CDI
Collège Guy-Flavien, 6, rue d’Artagnan 75012 Paris


par François JARRAUD, L’EXPRESSO

Au collège Flavien, la Semaine de la presse et toutes les autres..

"La liberté d’expression ça s’apprend" affirme le slogan de la Semaine de la presse cette année. Quelques semaines après les attentats contre Charlie, la Semaine est présentée comme un barrage aux atteintes aux médias. Le 23 mars, pour l’ouverture de la Semaine, N. Vallaud Belkacem, ministre de l’Education nationale, Fleur Pellerin, ministre de la Culture, sont venues au collège Flavien, à Paris 12ème, pour rappeler tout cela. Avec deux nuances. Si l’éducation aux médias intéresse l’Education nationale c’est souvent une seule semaine par an. Surtout éduquer aux médias ne veut pas dire défendre la liberté d’expression des médias lycéens. La question semble n’intéresser personne.

Une classe média dans un collège exceptionnel

Enserré entre des barres d’immeubles, le collège Flavien est un établissement populaire. C’est un des établissements phares à Paris. En 2013 nous avions rencontré son principal, Joseph Rossetto, un chef d’établissement extraordinaire qui mène des projets culturels de haut vol avec les enfants du quartier. Au collège Flavien il y a déjà de l’accompagnement personnalisé pour les élèves les plus en difficultés, des groupes de compétences dans les disciplines les plus fondamentales, des ateliers pluridisciplinaires. C’est déjà la réforme du collège mais appliquée intelligemment par un principal qui croit en la culture. "Ce qui permet à un homme de devenir humain c’est le pouvoir de créer. Créer c’est mettre au monde", nous dit-il. Alors tous les élèves y passent, que ce soit en atelier danse, théâtre ou dans une classe média, comme cette sixième que les ministres visitent le 23 mars, une des 40 classes média de l’académie qui compte environ 200 collèges. M. Rossetto sait associer les enseignants à ses projets. Il fait venir les professeurs de l’établissement pour qu’ils rencontrent les ministres. "On travaille en équipe dans un climat apaisé. Ce sont les enseignants qui mènent ces projets. Il faut leur reconnaitre cette compétence", nous dit-il.

Comment éduquer aux médias ?

La Semaine de la presse est un des plus importants projets soutenus par l’Education nationale. Le ministère a créé le Clémi, un service spécial pour gérer la semaine et soutenir l’éducation aux médias. La Semaine revendique des statistiques soviétiques : 3,5 millions d’élève participant, 210 000 professeurs, 1 million d’’exemlplaires de journaux distribués, 1945 médias partenaires.

Concrètement, au collège Flavien, Mmes Miskovsky, professeure documentaliste, et Bath M’Wom, professeure d’histoire-géographie, encadrent une quinzaine d’élèves de sixième de la classe média. Les ministres assistent à un cours très vivant sur la fabrication de l’information. A partir du récent accident argentin, Mme Miskovsky montre comment l’information fabriquée par les agences de presse est traduite dans la presse écrite. Puis c’est au tour des élèves de fabriquer leur article pour Le Petit Flavien, le journal du collège, en interrogeant et en filmant les ministres. Les élèves interrogent les ministres sur leur parcours, leur relation aux médias. Mme Bath M’Wom nous explique qu’elle réutilise en cours d’histoire-géographie des apports de la classe média. Celle-ci aide les élèves à développer des compétences en lecture. Elle vient aussi en support pour le cours d’éducation civique où l’actualité est sollicitée. En histoire, mais en 4ème, les élèves ont réalisé des articles de presse sur la Révolution française.

N Vallaud-Belkacem interroge ces élèves de 6ème sur les médias qu’ils consultent. Un des enfants mentionne déjà ses accès sur smartphone. Les autres ont accès à l’ordinateur dans des conditions variées. Pour certains tout est ouverts. Pour d’autres il y a des dispositifs de contrôle parental. Les réseaux sociaux sont utilisés mais pas tellement vus come source d’information. En fait les enfants souhaitent se protéger d’une information qui fait peur. Ainsi depuis Charlie plusieurs suivent l’actualité de plus près mais en ont peur. Ils apparaissent plus en demande de protection que d’information. Ils disent croiser les sources d’information pour vérifier la qualité des informations.

Ne pas confondre éducation aux médias et liberté d’expression

Pour N Vallaud-Belkacem, la Semaine de la presse est l’occasion de "discuter avec els élèves ce que veut dire la liberté de la presse. Faire la part de l’information et de la désinformation. Dire l’importance d’éduquer le regard des enfants , les aider à se forger une opinion". La ministre affirme veiller à ce que cette éducation aux médias soit comprise dans les futurs programmes d’éducation morale et civique et à ce que les professeurs l’introduisent dans leurs cours dans toutes les disciplines. Elle annonce un partenariat signé le jour même avec France Télévision pour créer un journal quotidien à destination des 8-12 ans et travailler à la formation des enseignants. "On développera les médias collégiens et lycéens car c’est la meilleure façon de comprendre les médias", explique-t-elle. Chaque établissement devrait avoir son blog ou son journal dès l’année prochaine.

Faut-il libérer ces nouveaux médias collégiens et lycéens de l’encadrement administratif qui les enserre comme semble l’indiquer le thème de la Semaine ? Pour la ministre, les chefs d’établissement n’exercent qu’un contrôle technique sur les médias collégiens et lycéens."Faire l’expérience d’un journal ou d’une radio au collège ou au lycée c’est extraordinaire pour s’ouvrir des horizons. C’est un premier pas pour devenir citoyen", nous répond-elle. Quelques semaines après les attentats, l’approche gouvernementale est obnubilée par la lutte contre les rumeurs et le complotisme. L’Education nationale semble pour la première fois vraiment désireuse d’éduquer au regard critique sur les médias. Défendre la liberté d’expression des collégiens et lycéens n’est pas la préoccupation du moment.

Au collège Flavien, la culture pour raccrocher les collégiens
"Il y a toujours une partie intacte, un fil sur lequel on peut tirer". Ce constat à la fois dur et plein d’espoir, Joseph Rossetto le tire de son expérience de principal d’un collège mobilisé contre le décrochage. Au point d’être un des très rares établissements qui accueille les décrocheurs de moins de 16 ans, ceux que la vie n’a pas épargné. Avec eux comme avec les élèves ordinaires, la conviction de son équipe c’est que la culture permet de trouver et de fortifier ce fil de vie. D’où une famille de dispositifs que le principal finance avec le soutien de la Fondation de France.

Fausse impression. A première vue le collège Guy Flavien, dans le 12ème arrondissement parisien, entouré d’immeubles, est au fond d’une impasse. Or tout le travail du collège, avec sa quarantaine de professeurs, c’est justement de sortir de la nasse scolaire ceux que le collège laisse souvent tomber. "Je parle pour tous les élèves et pas pour certains. Quand je réussis, je réussis avec eux", nous dit Céline Baliki, professeure de lettres en charge du dispositif pour élèves déscolarisés. Le collège est un véritable laboratoire de dispositifs de lutte contre le décrochage à différents niveaux.

Groupes de compétences

La lutte contre le décrochage se traduit déjà dans l’organisation pédagogique. Le collège fonctionne avec des groupes de compétences dans les disciplines fondamentales de façon à apporter une aide aux élèves les plus en difficulté. A Guy Flavien on ne croit pas trop au soutien et aux PPRE. Par contre l’enveloppe horaire de maths et français est utilisée pour réunir les élèves en groupes de compétences. Les groupes les plus nombreux accueillent les élèves qui sont à l’aise avec les enseignements et qui vont avancer sans être ralentis. Les élèves les plus en difficulté travaillent les fondamentaux en tout petits groupes avec un enseignant. Cette organisation a porté ses fruits. Les enseignants sont mobilisés. Le taux de réussite au brevet atteint 85%. Le taux de décrocheurs, qui atteignait 30% des élèves , est fortement diminué.

De la culture partout

Mais on ne raccroche pas qu’avec des fondamentaux. Pour J. Rossetto les mots, la culture est un médium pour transformer les jeunes adolescents , les faire grandir. Aussi le collège multiplie les ateliers. La fierté du collège et le chouchou de J Rossetto c’est l’atelier Khaos. Tous les jeudis soirs et parfois le samedi, une trentaine de collégiens de 4ème et 3ème préparent un spectacle qui sera chorégraphié et filmé. A partir des Troyennes de Sénèque, les ateliers de théâtre, danse, cinéma et écriture puisent dans le mythe antique de quoi inventer un monde nouveau, celui dont les enfants de Troie rêvent. Le passage par le drame antique initie à la misère humaine et aux moyens de la dépasser par l’art et le vivre ensemble. La trentaine d’élèves qui participent au projet iront dans le Péloponnèse, en Grèce, jouer et filmer le spectacle. "Parmi les objectifs des ateliers artistiques", nous dit J. Rossetto, "il y a la nécessité de donner aux élèves des espaces de création, de responsabilisation, d’expression et de les faire réfléchir sur les grands problèmes du monde aujourd’hui. La connaissance et la culture sont posées comme les instruments permettant l’accès à la pleine humanité, à la compréhension du monde".

Les ateliers sont aussi un bon point de contact avec les familles. Et ce contact est essentiel pour l’orientation des élèves, un autre point fort dans le collège. Marginaux, les ateliers "tiennent la page". Ils permettent au collège de tenir, de nourrir l’implication des élèves, la flamme intellectuelle des enseignants et finalement de faire passer les connaissances.

Raccrocher les jeunes déscolarisés

Depuis 2009, à la demande de l’académie, le collège accueille une structure pour élèves déscolarisés de moins de 16 ans. Si les plus de 16 ans sont suivis et disposent d’un éventail de solutions (micro lycées etc.), les jeunes en obligation scolaire mais en réalité dans la rue sont encore un territoire inconnu de l’institution. Personne ne sait combien ils sont. Le collège Flavien en accueille une dizaine à charge de les aider à se construire un avenir. ""Ce sont des adolescents ayant subi des défaites, profondément inscrites en eux. Ils s’accrochent à leurs blessures. Ce sont des enfants extrêmes qui ne tiennent pas dans le cadre de l’école si bien qu’ils sont régulièrement exclus des collèges ou finissent de ne plus y aller", nous dit J. Rossetto. Il y a des décrocheurs passifs, tellement absentéistes que les apprentissages deviennent trop compliqués. Décrochés avec l’école ils sont aussi à la marge de la société souvent avec des problèmes de drogue. Il y a des élèves qui sont présents absents. Trop absents en cours même s’ils sont là et imposent leur présence, le casque sur les oreilles et le verbe à fleur de peau. Ils encombrent la classe alors qu’ils n’ont pas acquis les fondamentaux qui permettraient de lui donner sens. Ils ne savent pas lire couramment par exemple. Il y a ceux que la vie a fortement abimé et qui partent en vrille au quart de tour. Tous ces jeunes finissent dans la rue.

Pour eux, J Rossetto a bati un dispositif particulier. Ces jeunes sont accueillis dans les locaux du collège mais avec un accueil particulier et un horaire décalé. Ils sont la tous les après-midi encadrés par une petite équipe de professeurs convaincus : Céline Baliki, Bouchaïb El Fahid et Mme Roese. Sauf le jeudi après-midi où les jeunes sont en stage en entreprise. Car l’objectif final c’est de leur proposer une orientation professionnelle. Mais l’objectif premier c’est de leur faire accepter les contraintes d’une structure sociale, de reprendre les fondamentaux et de rafistoler l’image qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes. "On a l’exigence du travail scolaire mais avec la bienveillance", explique J Rossetto. "C’est dur et jamais acquis car ces jeunes sont extrêmement abimés". "Chaque lundi, il faut tout reconstruire en fonction de ce qui s’ets passé le week-end", témoigne C Baliki. "Quand on ne maitrise pas le langage on n’arrive pas à faire face à soi-même, on rejette les autres". En français, C Baliki leur fait travailler l’expression orale et écrite en favorisant el détour artistique. Ainsi travailler le fantastique amène les jeunes à parler de leurs émotions, à mettre des mots sur l’imaginaire, à reconstruire de la communication et un univers alors qu’ils sont dans la fermeture et le désordre. Si le collège n’arrive pas à raccrocher tous les jeunes il a bon espoir de le faire pour les trois quarts.

L’aide de la Fondation de France

Pour ces différents dispositifs, le collège bénéficie du soutien de l’académie. Mais J Rossetto est allé solliciter la Fondation de France et son dispositif en faveur des collégiens. C’est ainsi qu’il peut rémunérer les intervenants artistiques qui participent pour beaucoup à la réussite du collège. "Ce qui me passionne c’est la transformation des élèves", avoue J Rossetto. Pour lui enseigner et éduquer marchent ensemble. "Ma passion c’est la transmission", dit C. B